Le Cnam mag' #5 - page 19

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Enquête
LSF, vous avez dit LSF?
2005 aurait pu être l’année du triomphe. Voici dix ans, la langue des signes française (LSF) était
reconnue par la loi comme langue à part entière. Une belle revanche pour la communauté sourde à
qui l’enseignement de la LSF avait été interdit à l’école pendant plus d’un siècle. Pourtant aujourd’hui
encore, la prise en compte de cette langue gestuelle semble pâtir en France de nombreux retards.
Avril 1993. Septième Nuit des Molières. Ce soir-là,
Emmanuelle Laborit, 21 ans, reçoit le Molière de la révé-
lation théâtrale pour son rôle dans
Les Enfants du
silence
. Sur scène, face au public, ses mains virevoltent
à toute allure. Sourde de naissance, la comédienne
adresse un discours de remerciement vibrant d’émo-
tions… en langue des signes. Elle donne ainsi un coup de
projecteur sur la culture sourde et sur la LSF, son com-
bat. Il faut dire qu’à l’époque la pratique de cette langue,
frappée d’opprobre pendant un siècle, vient tout juste
d’être autorisée dans les écoles de l’Éducation
nationale.
Le coup de frein de 1880
La langue des signes (LS) est pourtant loin d’être une
création récente. Langue sans écriture, elle n’a pas
laissé beaucoup de traces tangibles dans l’histoire. Dans
la seconde moitié du XVIII
e
siècle, la grande action édu-
cative de l’abbé de l’Épée va lui conférer une importante
visibilité : le prélat choisit d’utiliser les gestes que ses
élèves sourds pratiquent entre eux pour leur trans-
mettre son enseignement.
En 1880, le Congrès international de Milan donne un
impressionnant coup de frein à la diffusion de la LS en
Europe. Aux yeux de ses initiateurs, la langue des signes
est un langage inférieur. Ils choisissent «
d’opter pour la
méthode orale pure, ce qui conduit au bannissement de
la LSF de toutes les écoles de France, qui est effectif dès
1886
», expose Yann Cantin, spécialiste de l’histoire des
sourds à l’Université de Rouen.
Au cœur des années 1970, on assiste à un « Réveil
sourd », avec pour credo la réhabilitation de la langue
des signes et la reconnaissance de la communauté
sourde. De cette belle émulation, naît entre autres
International Visual Theatre
(IVT) en 1976. Depuis lors,
l’association s’emploie à faire vivre et évoluer la langue
des signes grâce au théâtre, et dispense des cours de
LSF pour les adultes. Puis, en 1979, l’association Deux
langues pour une éducation, première association
défendant l’éducation bilingue en France, voit le jour.
Malgré tout, il faudra attendre 1991, puis 2005, pour que
la LSF soit autorisée et reconnue par la République
française.
Effet de mode?
Multiplication des lieux de cours dédiés, langue option-
nelle au bac, Capes, filières universitaires spécialisées (à
Paris-8 ou à l’EHESS en région parisienne)… La langue
des signes semble aujourd’hui avoir le vent en poupe.
Alors, sortie du ghetto? Pas si sûr… Car si ces dernières
années, les avancées sont réelles, un simple regard au-
delà de nos frontières nous renvoie à notre retard : au
Royaume-Uni, le gouvernement finance des pro-
grammes réalisés en langue des signes anglaise et 50%
des programmes télévisés sont traduits ; en Nouvelle-
Zélande, la LS est langue officielle ; tandis qu’aux États-
Unis, l’Université Gallaudet, près de Washington,
destinée aux sourds et malentendants, prodigue un
enseignement bilingue LS et anglais…
Dans le paysage audiovisuel français, l’émission docu-
mentaire
L’Œil et la Main
, diffusée sur France 5, fait
figure d’exception. Réalisée depuis 1994 par une équipe
biculturelle de sourds et d’entendants, elle cherche à
rendre visible le monde sourd et sa langue. «
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