 
          
            mag'
          
        
        
          
            35
          
        
        
          Grand angle
        
        
          
            «Ici, je me sens en sécurité : je
          
        
        
          
            peux m’exprimer librement !»
          
        
        
          Valeriia, longue tresse blonde qui s’étire dans son dos et grands yeux bleus ourlés de noir, allure
        
        
          studieuse et visage ouvert, met à mal les clichés qui courent sur les réfugiés. Cette Ukrainienne de
        
        
          31 ans est arrivée en France, pays dont elle chérissait la culture, voici un an et demi. Son objectif :
        
        
          fuir la répression qui sévissait dans sa région du Donbass, aux portes de la Russie. Depuis, soutenue
        
        
          par l’Association Pierre-Claver, elle affûte ses connaissances en programmation Web sur les bancs
        
        
          du Cnam.
        
        
          P
        
        
          rintemps 2014. Sous l’impulsion de séparatistes
        
        
          pro-russes, la ville de Louhansk, à l’est de
        
        
          l’Ukraine, se déclare République populaire de
        
        
          Louhansk. Dans cette immense ville, peuplée de quelque
        
        
          400 000 habitants en 2013, les combats font rage. Les
        
        
          activistes de la Révolution de Maïdan sont pourchassés,
        
        
          des militants associatifs arrêtés. À l’époque, Valeriia tra-
        
        
          vaille en tant que graphiste pour une maison d’édition.
        
        
          Membre d’une association qui s’engage pacifiquement
        
        
          pour défendre la liberté de parole et révéler la réalité de
        
        
          la révolution, elle craint pour sa sécurité. «
        
        
          
            Certains de
          
        
        
          
            mes amis ont été arrêtés et torturés…,
          
        
        
          raconte-t-elle.
        
        
          
            J’ai
          
        
        
          
            été forcée de quitter mon pays.
          
        
        
          »
        
        
          Ce sera la France, pays que cette férue de culture fran-
        
        
          çaise a déjà visité à deux reprises. «
        
        
          
            J’ai passé beaucoup
          
        
        
          
            de temps à l’Alliance française de ma ville. Je connais-
          
        
        
          
            sais des traditions, des artistes, des films français…
          
        
        
          
            J’adore l’humour d’
          
        
        
          Astérix et Obélix – Mission
        
        
          Cléopâtre ! » Le visa qu’elle a fait établir quelques mois
        
        
          plus tôt dans l’optique d’un futur séjour dans l’Hexagone,
        
        
          lui servira de porte d’entrée, légale.
        
        
          Parcours du combattant
        
        
          En août 2014, la jeune femme arrive à Paris. Elle est
        
        
          seule, ne connaît personne, ne parle pas français.
        
        
          Commence alors un long parcours du combattant. Sans
        
        
          ressources, car sa carte bancaire a été bloquée, elle dort
        
        
          pendant plusieurs jours dans la rue. «
        
        
          
            Et puis, j’ai trouvé
          
        
        
          
            une place dans un foyer pour femmes
          
        
        
          », avant d’obtenir
        
        
          le soutien du Service jésuite des réfugiés (JRS)
        
        
          1
        
        
          . Valeriia
        
        
          est hébergée dans quatre familles d’accueil. «
        
        
          
            J’ai eu la
          
        
        
          
            chance de voir des modes de vie différents. Ça m’a beau-
          
        
        
          
            coup aidé pour m’intégrer.
          
        
        
          » En février 2015, JRS lui pré-
        
        
          sente l’Association Pierre-Claver, où elle s’attelle à
        
        
          l’apprentissage du français. Pour apprendre avec l’al-
        
        
          phabet latin si différent du cyrillique, sa connaissance de
        
        
          l’anglais lui est alors bien utile ! Au fil des mois, des liens
        
        
          forts se nouent avec les différents membres de l’associa-
        
        
          tion : «
        
        
          
            C’est ma famille. J’aime son ambiance très
          
        
        
          
            amicale.
          
        
        
          »
        
        
          Aidée par l’association France terre d’asile dans ses
        
        
          démarches administratives, la jeune femme dépose son
        
        
          dossier de demande d’asile. Dix mois s’écouleront avant
        
        
          qu’elle n’obtienne le statut de réfugiée, en novembre
        
        
          2015.
        
        
          2
        
        
          « 
        
        
          
            Il fallait trouver un logement, des moyens pour
          
        
        
          
            vivre… En tant que demandeur d’asile, on n’a pas le droit
          
        
        
          
            de travailler durant les neufs premiers mois. C’est hor-
          
        
        
          
            rible de rester inactive pendant tout ce temps.
          
        
        
          »
        
        
          Une fois son statut accordé, le chemin vers le travail
        
        
          reste semé d’embûches : «
        
        
          
            J’ai un master 2 de graphiste
          
        
        
          
            designer, obtenu en 2007 à l’Université de Louhansk.
          
        
        
          
            Mais, Pôle emploi ne voulait prendre en compte ni ma
          
        
        
          
            formation ni mon expérience.
          
        
        
          »
        
        
          Apprentissage du français le jour,
        
        
          programmation Web le soir
        
        
          Inspirée par son camarade Milad
        
        
          3
        
        
          , inscrit au
        
        
          Conservatoire dès septembre dernier, elle décide d’em-
        
        
          prunter cette voie pour acquérir de nouvelles compé-
        
        
          tences. Depuis mars 2016, elle y suit, toujours avec le
        
        
          soutien de l’Association Pierre-Claver, des cours du soir
        
        
          de programmation Web : «
        
        
          
            J’ai étudié la programmation
          
        
        
          
            à l’université mais sans l’utiliser. Or ma profession de
          
        
        
          
            graphiste a maintenant beaucoup de liens avec Internet.
          
        
        
          
            J’aime la pédagogie du Cnam, avec beaucoup de travaux
          
        
        
          
            pratiques. Et ainsi, j’ai le temps d’étudier le français en
          
        
        
          
            journée, à Pierre-Claver.
          
        
        
          »
        
        
          Les préjugés qui pèsent sur les migrants la font bondir :
        
        
          «
        
        
          
            Certains nous voient comme des personnes sans édu-
          
        
        
          
            cation, venues en France pour avoir de l’argent, ou des
          
        
        
          
            terroristes. Lorsque j’explique que je suis allée à l’univer-
          
        
        
          
            sité et qu’en Ukraine, j’avais un bon salaire et un appar-
          
        
        
          
            tement, les gens sont étonnés que je sois partie… !
          
        
        
          » Et
        
        
          pourtant, elle qui peine si souvent à rentrer en contact
        
        
          avec sa famille restée en Ukraine, ne regrette pas son
        
        
          choix : « 
        
        
          
            Ici, je me sens en sécurité : je peux m’exprimer
          
        
        
          
            librement ! Je peux me sentir citoyenne.
          
        
        
          »
        
        
          
        
        
          Aurélie Verneau
        
        
          1:
        
        
          Organisation
        
        
          catholique
        
        
          internationale qui
        
        
          a pour mission
        
        
          d’accompagner,
        
        
          servir et défendre
        
        
          les droits des
        
        
          réfugiés ou
        
        
          des personnes
        
        
          déplacées contre
        
        
          leur volonté.
        
        
          2:
        
        
          Voir l’infographie
        
        
          page 28.
        
        
          3:
        
        
          Retrouvez le
        
        
          portrait de Milad
        
        
          dans le troisième
        
        
          numéro du
        
        
          
            cnam
          
        
        
          
            mag’
          
        
        
          .