 
          
            40
          
        
        
          
            mag'
          
        
        
          
            Chronique
          
        
        
          
            Maria Skłodowska-Curie
          
        
        
          E
        
        
          n cette fin d’année 1911, Paris batifole. À la gare du
        
        
          Nord, on accueille le «
        
        
          
            chérubin du ring
          
        
        
          », cham-
        
        
          pion d’Europe des poids welters. Au théâtre de
        
        
          l’Ambigu, on ridiculise ces
        
        
          
            Messieurs les Ronds-de-cuir
          
        
        
          et les us bureaucratiques. Dans les salles obscures, on
        
        
          s’amuse devant
        
        
          
            Little Moritz enlève Rosalie
          
        
        
          . Certes, on
        
        
          s’entretue en Cyrénaïque et en Tripolitaine, on s’écharpe
        
        
          de Wuchang à Canton, on s’étripe dans les campagnes
        
        
          mexicaines. Mais tout cela semble si loin !
        
        
          Les passions françaises se cristallisent plutôt autour
        
        
          d’une «
        
        
          
            douloureuse affaire dans le monde savant
          
        
        
          ».
        
        
          Maria Skłodowska, une «
        
        
          
            polonaise ambitieuse
          
        
        
          », est
        
        
          accusée d’avoir enlevé de sa vie de famille et détourné de
        
        
          ses devoirs conjugaux un éminent professeur du Collège
        
        
          de France, père de quatre enfants et de cinq ans son
        
        
          cadet ! De la fuite imaginaire des deux amoureux en
        
        
          Belgique en passant par les accusations d’une épouse
        
        
          trompée et d’une belle-mère amère jusqu’à la publica-
        
        
          tion d’extraits de lettres intimes, «
        
        
          
            cette relation cou-
          
        
        
          
            pable
          
        
        
          » s’étale alors à la Une de tous les journaux.
        
        
          «
        
        
          
            Cette étrangère, qui pousse un père de famille
          
        
        
          
            hésitant à détruire son foyer
          
        
        
          »
        
        
          On se déchaîne alors contre la «
        
        
          
            vestale du radium
          
        
        
          ». On
        
        
          assiège sa maison aux cris de «
        
        
          
            Dehors l’étrangère
          
        
        
          » et
        
        
          de «
        
        
          
            Voleuse de mari
          
        
        
          ». On glose sur ses origines juives
        
        
          comme sur ses liens avec les dreyfusards ou les hugue-
        
        
          nots. On se félicite qu’elle n’ait pas été élue à l’Académie
        
        
          des sciences au nom de l’inéligibilité des femmes ! On
        
        
          raille son seul titre de gloire : être la «
        
        
          
            veuve de l’illustre
          
        
        
          
            inventeur du radium
          
        
        
          ». On s’effraie à l’idée que «
        
        
          
            cette
          
        
        
          
            étrangère
          
        
        
          » puisse demeurer professeure au sein d’une
        
        
          «
        
        
          
            Sorbonne métèque et enjuivée
          
        
        
          »…
        
        
          Par un curieux hasard, les attaques les plus virulentes
        
        
          cesseront brusquement le 11 décembre. Il faut dire aussi
        
        
          que ce jour-là Marie Curie reçut, pour la seconde fois et
        
        
          dans une nouvelle discipline, la plus haute distinction
        
        
          que l’on puisse décerner à un.e scientifique. Dès lors, on
        
        
          célébra un peu partout « 
        
        
          
            la plus grande femme de la
          
        
        
          
            nation française
          
        
        
          » dont les travaux sur le polonium et le
        
        
          radium lui ont valu, chose inédite, un second Nobel !
        
        
          
        
        
          YBoude
        
        
          Extraits de
        
        
          
            L’Action
          
        
        
          
            française
          
        
        
          ,
        
        
          
            L’Œuvre
          
        
        
          ,
        
        
          
            Le Petit Parisien
          
        
        
          et
        
        
          
            Le Temps