Le Cnam mag' #5 - page 20

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mag'
Enquête
tentatives d’émissions pour les sourds ont malheureuse-
ment échoué
», note Laurent Valo, directeur de collec-
tion pour ce programme.
Si effet de mode il y a autour de la LSF, il concerne sur-
tout les entendants, qui sont de plus en plus nombreux à
s’en saisir. Car parmi les 300000 sourds profonds, peu
maîtrisent la LSF : ils seraient 80 à 100 000 selon cer-
taines estimations… En cause : un prisme médical qui
fait encore de l’oralisation le mode de communication
privilégié pour les sourds et leur voie d’insertion pre-
mière dans la société. Selon cette méthode, les sourds
apprennent à prononcer des sons que bien souvent ils
n’entendent pas, via de multiples séances d’orthophonie
et d’articulations. «
Les parents
d’une de mes amies, née sourde,
refusaient la LSF
, relate Nasro
Chab, médiateur LSF au Musée
des arts et métiers, lui-même sourd.
Tout son apprentis-
sage fut oral. Elle était renfermée sur elle-même et le
soir, épuisée par les efforts fournis pour lire toute la
journée sur les lèvres. Lorsqu’une personne sourde
signante est arrivée dans son entreprise, elle a pris
conscience qu’être sourd signant était bien. Le change-
ment est révolutionnaire. Elle s’est ouverte au monde. La
LSF, c’est ce qui nous relève au quotidien !
».
«
L’apprentissage de la LSF est source d’épanouisse-
ment
», renchérit Chrystell Lamothe, directrice de l’as-
sociation Deux langues pour une éducation centre-ouest,
qui prône l’apprentissage précoce de la LSF.
«C
ontrairement à ce que l’on pense, elle permet ensuite
d’apprendre plus facilement le français écrit.
»
A
contrario
, le rejet de la langue des signes, qui a long-
temps prévalu, a favorisé un «
illettrisme massif, encore
dominant aujourd’hui
», explique Brigitte Garcia, lin-
guiste à l’Université Paris-8 et spécialiste de la LSF.
1
En effet, 60 à 80% des sourds profonds seraient illet-
trés, situation qui remet en question leur intégration
sociale. Et seuls 5% des jeunes sourds passent le cap
des études supérieures.
5% des enfants sourds
Plus de 20 ans après l’autorisation de la LSF, les diver-
gences entre tenants de l’oralisme et partisans de la
langue des signes restent vives. Dans les faits, la loi de
1991 qui assure la liberté dans le choix du mode d’éduca-
tion peine à être appliquée. Les parents ne disposent
souvent pas d’informations suffisantes ; les structures
éducatives proposant des parcours bilingues sont quasi
inexistantes
2
 ; l’insuffisance de for-
mation des enseignants en LSF,
dénoncée. Parmi les instituts spé-
cialisés, dépendant du ministère de
la Santé, où les enfants sourds sont majoritairement
scolarisés, l’Institut national des jeunes sourds (INJS) à
Paris est l’un des rares à avoir mis en place un vrai dis-
positif bilingue. Résultat : seuls 5% des enfants sourds
ont accès à un dispositif d’enseignement en langue des
signes.
Manque de volonté politique?
Confronté au besoin de faire évoluer les Pôles d’accom-
pagnement à la scolarisation des jeunes sourds créés en
2010, le ministère de l’Éducation nationale a initié un
groupe de travail, composé d’acteurs associatifs, pour
réfléchir à l’amélioration de la scolarité des enfants
sourds.
On mesure le chemin encore à parcourir pour offrir à la
communauté sourde signante une équité sociale et
citoyenne.
Aurélie Verneau
ses enseignements modulaires,
ses remises à niveau, au rythme de
chacun, le Cnam se prête à la for-
mation des personnes en situation
de handicap
», assure Sicka
Yamajako, responsable de la
mission.
De son côté, la chaire Handicap,
créée en 1987, accueille cette année
une quarantaine d’auditeurs sou-
haitant se former aux métiers liés
au handicap : consultant en inser-
tion dans le domaine du handicap
ou chef de projet handicap et
emploi.
Enfin, le Centre d’études et de
recherche en informatique et com-
munications (Cedric) du Cnam
travaille actuellement au dévelop-
pement d’un système de forums
Web dédiés aux sourds signants,
où le texte est remplacé par l’ico-
nographie et la vidéo. Un moyen de
pallier les difficultés éprouvées par
les sourds face à l’écrit.
La LSF, un long malentendu
XVIII
e
siècle
 : développement et
première normalisation de la
langue des signes par l’abbé
Charles-Michel de l’Épée.
1880
 : interdiction de la langue des
signes suite au Congrès internatio-
nal de Milan.
Années 1970
 : prise de conscience
linguistique des sourds, le «Réveil
sourd».
1991
 : autorisation de l’enseigne-
ment bilingue – français écrit et
langue des signes – pour les
enfants sourds, via la loi Fabius.
2005
 : reconnaissance de la LSF
comme langue à part entière, dans
la loi pour l’égalité des droits et des
chances, la participation et la
c i to y e nn e té d e s p e r s onn e s
handicapées.
Le Cnam, un engagement
multi-fronts
Le Cnam s’est engagé voici plu-
sieurs années dans l’amélioration
de la prise en compte des per-
sonnes en situation de handicap.
Depuis 2001, le Musée des arts et
métiers propose ainsi des visites
en LSF avec un médiateur sourd,
Nasro Chab. Elles sont gratuites
un samedi par mois et pendant les
vacances scolaires. Les visiteurs
en situation d’handicap mental,
cognitif, psychique, ou aveugles
bénéficient aussi d’une médiation
adaptée.
P lus largement, la mission
Handi’Cnam a pour vocation d’ai-
der les auditeurs et les personnels
en situation de handicap en amé-
nageant enseignements, examens,
postes de travail, etc. Depuis cette
année, un élève bénéficie d’un sou-
tien pédagogique en LSF. «
Avec
La langue des signes fran-
çaise, c’est ce qui nous relève
au quotidien !
1:
Garcia, B. et
Encrevé, F. (2013),
«La Langue des
signes française
(LSF)», in Georg
Kremnitz dir.,
Histoire sociale
des langues de
France
, Presses
universitaires de
Rennes,
pp. 619-629.
2:
Peu de lieux
proposent un
enseignement
bilingue jusqu’au
lycée: Poitiers,
Toulouse (aux
avant-postes de
la promotion de
la LSF, depuis le
«Réveil sourd»),
Noisiel et, dans
l’académie de Lyon,
Bron et Lyon.
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